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Dans le grand jeu de mécano financier de la nucléocratie, Cyclife - créée en 1990 par la Cogema (Compagnie générale des matières nucléaires) appartenant au CEA depuis 1976  puis à Areva en 2001) associée à EDF - est depuis 2010 une filiale à 100 % d'EDF. Jusqu'en 2019 elle s'appelait SOCODEI avant le rattachement des entités de Cyclife UK, Cyclife Sweden et Socodei à la plateforme industrielle européenne Cyclife créée par EDF en 2016. Suivez-vous bien les méandres que la technostructure peaufine dans le dos de la population et des contribuables? Pas sûr effectivement, à l'image de la sécurité du site.

Son business? principalement la gestion des déchets radioactifs et le traitement des matières et déchets industriels radioactifs TFA/FA (faiblement à moyennement radioactifs) avec en plus la déconstruction et le démantèlement d'installations nucléaires, la conception et la  construction d'installations. En clair le déchiquetage et le compactage par fusion des ferrailles radioactives issues de tous le sites nucléaires français avant leur envoi en stockage vers des lieux saturés.

site-cyclife-EDF_interieur-four_centraco.jpgAinsi à Marcoule dans le Gard Cyclife-EDF gère la redoutable Installation Nucléaire de Base (INB 160) "Centraco". Cette installation avait conduit à la mort radioactive horrible le 12 septembre 2011 de l'ouvrier-fondeur José happé par le four en fusion de matières radioactives. L'installation avait explosé car surchargée 500 fois plus que l'exploitant le prétendait et bien au-delà des autorisations octroyées. Quatre autres salariés avaient été également blessés dans cette explosion dont un gravement. Le corps de José, d'origine espagnole, avait été rapatrié dans un cercueil plombé en Espagne. Deux ans plus tard, le 2 avril 2013, la Socodei (ancien nom de Cyclife France) avait enfin été « reconnue coupable d’exploitation d’une installation nucléaire de base en violation des prescriptions techniques » puis mise en examen pour homicide et blessures involontaires et condamnée enfin en mars 2018.

Le 8 février dernier, une inspection sur les risques et mesures de protection face, cette fois-ci, aux "agressions externes" a été conduite par les inspecteur de l'ASN à la Centraco. Et le bilan n'est pas bon là encore comme en atteste la lettre officielle de suite d'inspection expédiée le 27 février dernier à la Directrice générale de l'entreprise, Guénola Guillon (1).

 

Par Zeus ou Jupiter?

Les risques inondations, grand vent , températures extrêmes, foudre, voire neige extrême, tout comme le suivi des risques météorologiques basés principalement sur un bulletin quotidien de vigilance transmis par Météo-France et qui n'est pas un système d'alerte, sont plus que perfectibles. Idem pour les procédures/consignes à respecter face à de telles situations. Comme le dit poliment le Chef de la division de Marseille de l’Autorité de sûreté nucléaire, Bastien Lauras : " Au vu de cet examen non exhaustif, l’ASN considère que les conclusions de l’inspection ne sont pas satisfaisantes". Ainsi des derniers auto-contrôles et essais périodiques (CEP) liés au système de protection contre la foudre effectués par EDF-Cyclife-Centraco - dont même les procédures qui relèvent pourtant des règles générales d’exploitation (RGE) destinées à la mise en œuvre d'actions - sont inexistantes.

site-cyclife-EDF_interieur-pelle-dechets-metalliques_centraco.jpgLes inspecteurs notent aussi un "manque de rigueur dans le délai de remise en conformité des écarts (non-conformités) constatés lors de ces contrôles". Les Ordres de Travux (OT) consultés par sondage manquent de rigueur dans leur suivi, certaines échéances prévisionnelles de remise en conformité sont dépassées depuis août 2022 sans nouvelle planification de réalisation. Pourtant la réglementation impose de s’assurer de la remise en état un mois après la constatation d’une non-conformité. Une situation malsaine qui avait déjà été relevé lors d'une autre inspection réalisée le 12 avril 2022.Rien de changé donc à la Centraco, on fait ce qu'on veux, on est chez nous.

Et il n'est pas certain, comme cela apparait à la lecture du dernier rapport de vérification complète (2022), que soit bien respectée non plus la réglementation (article 21 de l’arrêté du 4 octobre 2010) qui implique que « L'installation des protections (ndlr: anti-foudre)  fait l'objet d'une vérification complète par un organisme compétent, distinct de l'installateur, au plus tard six mois après leur installation. Une vérification visuelle est réalisée annuellement par un organisme compétent. L'état des dispositifs de protection contre la foudre des installations fait l'objet d'une vérification complète tous les deux ans par un organisme compétent. Toutes ces vérifications sont décrites dans une notice de vérification et de maintenance et sont réalisées conformément à la norme NF EN 62305-3, version de décembre 2006." Et le texte légal de préciser : " Les agressions de la foudre sur le site sont enregistrées. En cas de coup de foudre enregistré, une vérification visuelle des dispositifs de protection concernés est réalisée, dans un délai maximum d'un mois, par un organisme compétent. Si l'une de ces vérifications fait apparaître la nécessité d'une remise en état, celle-ci est réalisée dans un délai maximum d'un mois ».

On en est loin tandis que cette norme NF stipule aussi que l’accès à moins de trois mètres du câble-conducteur de retour au sol de la foudre (2) doit être empêcher physiquement par un grillage, un mur,... Un simple coup d'oeil montre qu'en fait une fois un panneau avertisseur signale le risque aux passants en proximité, une autre fois ce n'est pas le cas. Au p'tit bonheur la chance. EDF-Centraco doit certainement manquer d'argent pour implanter ces panneaux.

 

Coup de froid et coup de chaud : au diable les dispositions face aux aléas climatiques extrêmes, aux grands froids et grandes chaleurs

site-cyclife-EDF_exterieur_centraco_au-pied_recateurs-celestin_bombe.jpgUn petit tour de visite à l’extérieur des bâtiments ( I, M et F) ainsi que des toits terrasses du bâtiment F et de la salle de conduite "incinération"  révèle que les procédures en cas d’aléas climatiques extrêmes sont loin d'être précises voire inexistantes donc certainement pas applicables voire appliquées. Ainsi, alors que le chapitre 7 des RGE le stipule clairement :  en cas de situations météorologiques avec des niveaux de neige importants ou extrême l'exploitant nucléaire doit dégager les axes de circulations pour les véhicules de secours et les axes pour évacuer les salarié-es. C'est du b-a-ba mais ici on s'en bat les c...

Tout comme pour les procédures de dégagement des prises d’air de ventilation - notamment la ventilation de soufflage - et la fermeture ou l'obturation des ouvertures de tous les locaux donnant directement sur l’extérieur. Pas plus pour les procédures de mise à l’arrêt des procédés de fusion et d’incinération. Pas mieux pour ce qui concerne la vérification du bon déclenchement des thermostats de protection des équipements risquant le gel en cas de grand froid, ou encore la mise en régime réduit de la ventilation bâtiment afin de privilégier la ventilation et la climatisation des locaux abritant des matériels de sûreté. On ne sait trop que faire et quand? et avec quels moyens?

Si un coup de vent extrême est annoncé par météo-france - et ici en vallée du Rhône on subit fréquemment le mistral - une procédure Règles Générales d'Exploitation (RGE) et une procédure particulière doivent être appliquées. Comme doivent le stipuler des "fiches réflexes". Manque de pot ces fiches sont absentes et le personnel n'est donc pas à même de les mettre en oeuvre. En cas de « grand froid » - et avec le dérèglement climatique général on passe rapidement d'une situation à l'autre - c'est pareil : pas de procédures pourtant obligatoires comme le stipule les RGE. Et que dire de l'approximation ou de l'inexistence des actions à mettre en oeuvre en cas de grande chaleur, d’inondation, de séisme voire d'explosion de péniche passant non loin de là.

 

Parfois les procédures existent mais pas les moyens opérationnels., alors on étouffe, on transpire, on gèle. Breuh

site-cyclife-EDF_centraco_stockage_solides_inerieur.jpgLors de la visite des bâtiments, les inspecteurs n'ont pu que constater le vide, l’absence de moyen opérationnel permettant, notamment en cas de neige extrême, de mener des actions basiques telles dégager la prise d’air de la ventilation de soufflage située en toiture. L’absence aussi de procédure particulière en cas de risque d’orage, bien que des dispositions opérationnelles, telles que le démarrage du compresseur d’air, doivent être mises en place lors d’épisode orageux.
 
Côté alerte c'est pas mal non plus. Bien qu'il existe une sonde température située en toiture du "bâtiment fusion" permettant de faire remonter les alertes « grand froid » ou « grand chaud » en salle de conduite, l’exploitant nucléaire indique que les conditions météorologiques peuvent également être récupérées via le service environnement (SPR) du CEA de Marcoule. Manque de pot : la convention avec le CEA consultée par les inspecteurs n’évoque ni la transmission d’alertes météorologiques ni de manière générale la communication de données météorologiques. Pas plus qu'une quelconque procédure concernant la réception et le traitement des alertes. La liste des destinataires est inconnue. Qui reçoit? qui traite? qui alerte? Mystère et boule de gomme. De toute façon force est de constater que les informations (réception des alertes et actions associées) ne sont pas inscrites dans le cahier de quart, ni tracées dans un autre support d’exploitation. Sympa la transmission entre équipes et collègues. Ici on joue à colin-maillard.
 
Très pédago et un brin taquine la lettre à la Direction Générale de la Centraco évoque qu'il faudrait peut-être "s’interroger sur la nécessité de mettre à jour la convention avec le CEA de Marcoule afin de formaliser la transmission d’alertes et données météorologiques." Et que concernant la foudre, "en complément des systèmes de protection, des moyens de prévention tels que des matériels de détection d’orage ou un service d’alerte d’activité orageuse peuvent être définis."
 
site-cyclife-EDF_interieur-tabeau-temperature-four_centraco.jpgAlors force est de constater que la sécurité et la santé, tant des travailleurs et de la populations des villes et villages alentour (Codolet, Bagnols sur Cèze, Chusclan ) que du Rhône qui borde ce site implanté en pleine région touristique, agricole et viticole des Côtes-du-rhône, sont à l'image de l'usine Melox d'Areva-Orano de fabrication du terrible "combustible" nucléaire Mox ou encore de l'interminable chantier de démantèlement des réacteurs nucléaires "Célestin" produisant le plutonium de la bombe atomique : ils s'en contrefichent.
Avec des milliers de Becquerels (3) rejetés chaque jour par chacune de la dizaine d'installations nucléaires de Marcoule les règles ne sont bonnes que pour ceux qui y croient. Ici l'accident a lieu au quotidien.
 

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(1) Inspection  INSSN-MRS-2023-0591
(2) sauf si la surface du sol est suffisamment isolante ou si ce conducteur est lui-même isolé électriquement
(3) 1 Becquerel (Bq) = 1 désintégration atomique par seconde