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A l'image du magazine "Sciences et Avenir" qui a dernièrement été fusionné de force avec "La recherche", l'ode scientiste à la fusion nucléaire bat son plein depuis quelques temps. Dans une mise en scène internationale à la course vers le toujours plus, le toujours plus démentiel et le toujours plus auto-glorificateur, les équipes qui représentent les luttes des financiers étatiques et privés, n'en finissent pas de se pousser du coude. C'est à qui fera l'annonce la plus extra-ordinaire, qui publiera l'avancée décisive telle qu'on y croyait plus. La dithyrambe irrationnelle et a-scientifique occupe le devant de la scène quitte à manipuler réalité et opinion publique. Des lecteurs à l'oeil acéré et bien plus réalistes que les sprinteurs à la course à la publication dans telle ou telle revue réagissent et s'adressent aux rédactions qui se sont faites les promoteurs de cette perversion idéologico-financière. Dans ce vaste mouvement de réhabilitation du doute comme principe premier de la recherche scientifique, notre Coordination vient de s'adresser à la Rédaction en Chef du magazine "Sciences et Avenir". En voici le contenu :

 

" Bonjour,

Lecteur  de votre revue, je suis surpris et déçu de votre dossier sur la fusion nucléaire. Il s'agit davantage d'une prise de position idéologique que d'une étude scientifique ! Vous auriez au moins pu mettre des points d'interrogation dans vos titres : « Fusion nucléaire, une révolution pour l'humanité ? une énergie propre et abondante ? » « fusion l'énergie du futur ? »

Heureusement que la lecture de votre dossier montre bien que ce n'est pas si simple, « de nombreux verrous technologiques devant encore être levés ».  Il nous éclaire aussi sur l'intérêt militaire de la fusion nucléaire.

« Une énergie propre ». Certainement pas !

L'ASN (Autorité de sûreté nucléaire) a reconnu que la toxicité du tritium avait été sous-évaluée. Quasiment impossible à confiner et facilement absorbé par l'organisme, cet élément radioactif peut s'intégrer à l'ADN au cœur des cellules humaines.

Les réacteurs nucléaires en rejettent involontairement des quantités importantes dans l'environnement. Sa période radioactive est certes plus courte que celle de l'uranium 238 (4,5 milliards d'années) mais loin d'être insignifiante. Sa demi-vie est de 12,3 ans, soit 200 ans pour la disparition totale de sa radioactivité.

D'ailleurs, comme vous le dites, ce sont les institutions militaires qui sont les plus intéressées par la fusion nucléaire et par le tritium pour développer leur armement et mettre au point une nouvelle génération de bombes atomiques. Ils manquent de tritium car ils doivent le remplacer tous les 12 ans dans les têtes nucléaires stockées.

Le tritium n'est pas non plus une énergie abondante.

25 kg dans le monde comme vous le précisez. La France en produit un kilo par an pour son arsenal militaire. L'espoir est de générer le tritium dans l'enceinte même des réacteurs à fusion. On en est très loin et c'est tant mieux.

« Une énergie respectueuse de l'environnement »? Non plus.

Une énergie dangereuse pour notre santé, ça oui ! Les réacteurs à fusion nucléaire  nécessitent pour leur construction et fonctionnement une quantité démesurée de matières premières rares, précieuses et dangereuses. Le National Ignition Facility (NIF) est composé dans son cœur entre autres de diamant, d'or, de tungstène et même d'uranium appauvri !

Pour ITER, la liste est encore plus stupéfiante. Je ne citerai que le béryllium, un des métaux les plus toxiques du monde, poison cancérigène à doses infimes. En électronique, on l'utilise à l'échelle du gramme. ITER en consommera 12 tonnes pour son revêtement ! Ou encore les 450 tonnes de niobium, élément chimique hautement toxique pour les poumons et les os.

ITER est très loin d'être opérationnel. Son coût est déjà passé de 5 à 20 milliards d'euros. Et il n'est pas certain que ça marche un jour. Votre article émet d'ailleurs des réserves. Si l'expérimentation avec du tritium devait avoir lieu, le tokamak entier deviendrait alors un gros déchet radioactif de 30 000 tonnes.

Il n'y a pas de quoi s'emballer avec l'expérience très médiatisée réalisée par le NIF. « l'avancée majeure » avec un gain de 1,53 obtenu, est à relativiser car comme vous le précisez  « les lasers du NIF engloutissent eux mêmes 322 mégajoules d'électricité pour fonctionner » et qu'il faudrait des "gains supérieurs à 100 pour produire de l'électricité à un prix acceptable !». Ce ne sera pas pour demain !

Et c'est pour demain, c'est-à-dire au plus tard dans 10 ou 20 ans, que nous avons besoin de cette énergie du futur, pas à la fin du 21ᵉ siècle.

Pour résumer, la fusion nucléaire ne sera ni « une révolution pour l'humanité », ni « l'énergie du futur ». Ce n'est pas une énergie propre, pas non plus une énergie abondante. Elle est dangereuse pour la santé humaine et produit des déchets (certes de moins longue durée). Son intérêt est purement militaire et de tenter de sauver la filière nucléaire très mal en point.

Les solutions pour le futur nous les connaissons déjà.
Avant tout économiser l'énergie, mettre fin au gaspillage. Et ensuite développer et améliorer encore les énergies renouvelables (solaire, éolien, hydrologique) seules vraies énergies propre et d'avenir.

Ce mythe, voire ce fantasme, d'une énergie gratuite et inépuisable qui nous permettrait de consommer et gaspiller indéfiniment est à éliminer des esprits une fois pour toutes.

Sobriété énergétique, il n'y a pas d'autres alternatives si nous voulons qu'il y ait un futur pour l'humanité. Et nucléaire et sobriété ne riment pas ensemble, qu'il s'agisse de fusion ou de fission.

Antoine Calandra, 18 mars 2023, Coordination Antinucléaire Sud-est

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Nous avons également reçu copie de la lettre d'un abonné à cette revue dont voici le texte :

" Bonjour,

Quel problème journalistique de déontologie professionnelle et de rigueur scientifique avez-vous avec le nucléaire, fission ou fusion?

En effet, encore une fois, le traitement dans votre dernier numéro de mars 2023, en "une" et en pages intérieures, de la "fusion  nucléaire" relève plus de l'ode scientiste que de l'approche scientifique. Pas une seule référence aux positions de nombre de Prix Nobel (dont Pierre Gille de Gennes) opposés au projet ITER (1) de fusion nucléaire.

Pas de recul et même des affirmations de dévotion de pure style a-scientifique sur la fusion telle "une énergie propre..." (à la "une") alors que tout acte industriel ou de recherche ne peu par essence être propre ni sa production ultérieure. Affirmer qu'il n'y a pas de "déchets" radioactifs avec la fusion (p28 et p30) ni GES est une pure hérésie irrationnelle.

Finalement je me questionne sérieusement sur le renouvellement de mon abonnement.

Jean-Pierre Seignon

(1) Pierre-Gilles de Gennes : "Je trouve que l'on consacre beaucoup trop d'argent à des actions qui n'en valent pas la peine. Exemple, la fusion nucléaire. Les gouvernements européens, de même que Bruxelles, se sont rués sur le réacteur expérimental Iter sans avoir mené aucune réflexion sérieuse sur l'impact possible de ce gigantesque projet. Quoique grand défenseur des grosses machines communautaires il y a trente ans, et ancien ingénieur du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), je n'y crois malheureusement plus, même si j'ai connu les débuts enthousiastes de la fusion dans les années 1960... avant de construire un réacteur chimique de 5 tonnes, on doit avoir entièrement compris le fonctionnement d'un réacteur de 500 litres et avoir évalué tous les risques qu'il recèle. Or ce n'est absolument pas comme cela que l'on procède avec le réacteur expérimental Iter. Pourtant, on n'est pas capable d'expliquer totalement l'instabilité des plasmas ni les fuites thermiques des systèmes actuels. On se lance donc dans quelque chose qui, du point de vue d'un ingénieur en génie chimique, est une hérésie. Et puis, j'aurais une dernière objection. Connaissant assez bien les métaux supraconducteurs, je sais qu'ils sont extraordinairement fragiles. Alors, croire que des bobinages supraconducteurs servant à confiner le plasma, soumis à des flux de neutrons rapides comparables à une bombe H, auront la capacité de résister pendant toute la durée de vie d'un tel réacteur (dix à vingt ans), me paraît fou. Le projet Iter a été soutenu par Bruxelles pour des raisons d'image politique, et je trouve que c'est une faute."

"