Tribune libre de scientifiques : les faibles doses de radioactivité générées par les installations nucléaires portent atteinte à la santé des travailleurs et de la population.
Par Rédaction le mercredi 18 janvier 2023, 18:50 - National - Lien permanent
Annie
Thébaud-Mony - sociologue et directrice
de recherche honoraire à l'Institut national de la
santé et de la recherche médicale (Inserm) - et Marie
Ghis Malfilatre - sociologue
postdoctorante au laboratoire Pacte de l'université
de Grenoble-Alpes, spécialiste des conditions de
travail dans l'industrie nucléaire - publient une tribune dans le journal "le Monde" alors
que débute mardi 17 janvier l'examen par le Sénat à majorité pro-nucléaire du "projet de loi" permettant d'accélérer les
procédures liées à la construction de nouvelles
installations nucléaires. Elles mettent en évidence le déni démocratique et les dissimulations des maladies induites par la radioactivité, dont sont victimes notamment les travailleurs du secteur et la population atteinte par les faibles doses récurrentes rejetées quotidiennement par les installations nucléaires.
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Alors que débute mardi 17 janvier l'examen par le Sénat du projet de loi permettant d'accélérer les procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites déjà existants, comme c'est le cas pour les deux premiers EPR prévus à Penly (Seine-Maritime), puis au Tricastin (Vaucluse-Drôme) ou au Bugey (Ain) le compte à rebours démocratique est lancé.
Dans ce contexte, la Commission nationale du débat public (CNDP) a souhaité organiser dix rencontres publiques en préalable à la décision de construire six nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR 2 en France. Sur ces dix rencontres, elle n'a souhaité consacrer que quatre minutes à l'enjeu des conditions de travail dans ce secteur industriel.
Ainsi, la réunion organisée jeudi 12 janvier au Tréport, à quelques kilomètres de Penly, site pressenti pour accueillir les deux premiers EPR, devait précisément aborder les conséquences sur le travail et l'emploi de la réalisation de ce projet de loi.
Parmi les différentes questions relevant du travail et de l'emploi, celle des risques professionnels ne figurait pourtant pas à l'ordre du jour.
En
effet, symbole de la grandeur technologique de la
France et de sa maîtrise scientifique, l'industrie
nucléaire se caractérise aussi par un indispensable
travail humain exposé au risque radio-induit. Depuis
les années 1970, les opérations les plus exposées à ce
risque redoutable (cancérogène, mutagène, toxique pour
la reproduction) sont assurées par des salariés
d'entreprises sous-traitantes intervenant dans les
installations nucléaires.
L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire dénombre aujourd'hui près de 33 000 salariés sous-traitants, qui supportent plus de 80 % de la dose collective reçue chaque année dans le parc nucléaire. Les salariés sous-traitants les plus exposés sont les ouvriers et les techniciens des usines de fabrication du combustible et de retraitement des déchets nucléaires, ceux de la maintenance des centrales EDF ou encore ceux chargés du démantèlement, du transport et de la gestion des déchets.
Ce choix des entreprises publiques de la filière nucléaire en France de sous-traiter à des salariés dits « extérieurs » les opérations les plus exposées est une manière de se donner les moyens de respecter les doses limites imposées par les règles de radioprotection et de préserver les agents statutaires d'une dangereuse augmentation de leur exposition. Or les salariés les plus exposés, à savoir les travailleurs extérieurs, rencontrent de grandes difficultés à faire entendre leurs voix et faire valoir leurs droits, en particulier leur droit à la réparation en cas d'atteinte à la santé.
En France, la loi du 1er janvier 1931 a en effet créé le tableau n° 6 des maladies professionnelles au terme de vifs débats scientifiques et parlementaires. Dans cette période de l'entre-deux-guerres, le risque radioactif concernait surtout des scientifiques et des médecins. En quatre-vingt-dix ans d'existence, le tableau des maladies professionnelles n'a connu que quatre révisions, la dernière remontant à 1984.
Un postulat scientifique faux
Et si le nombre de personnes exposées au risque professionnel radioactif a bondi dans la seconde moitié du XXe siècle, passant pour le seul cas de la France de quelques dizaines avant la seconde guerre mondiale à près de 400 000 aujourd'hui, le nombre de reconnaissance en maladie professionnelle au titre du tableau n° 6 reste quant à lui étonnamment stable. Selon les données de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), depuis les années 1950, entre quinze et vingt cas de cancers radio-induits sont ainsi reconnus chaque année en France.
La
gestion du risque radioactif (commune à la plupart des
pays nucléarisés, tels le Japon ou les Etats-Unis)
repose en effet sur un postulat scientifiquement
faux : l'absence de danger des faibles doses de
radiation. L'épidémiologie a pourtant montré les liens
entre très faibles doses et survenue de décès précoces
par cancer chez les travailleurs de l'industrie
nucléaire.
Résultat, seulement trois pathologies cancéreuses radio-induites sont inscrites au tableau n° 6 du régime général des maladies professionnelles, concernant les pathologies radio-induites. Pourtant, la loi Morin relative aux essais nucléaires français conduits au Sahara et en Polynésie entre 1960 et 1996 en indemnise vingt-trois ; et la loi américaine en admet vingt-deux. A l'évidence, de nombreux cas de cancers professionnels radio-induits sont donc reconnus outre-Atlantique et pas en France.
Si la sous-traitance permet ainsi aux exploitants nucléaires de rendre invisible le travail humain exposé à la radioactivité, indispensable à la sûreté nucléaire dans la maintenance, le démantèlement et la gestion des déchets, elle invisibilise donc aussi ses conséquences sanitaires. Or le coût humain et financier pèse très lourd non seulement sur les victimes et leurs familles, mais aussi sur la collectivité qui assume les charges des maladies professionnelles graves non reconnues comme telles.
Cette sous-reconnaissance soulève par conséquent une question cruciale : à combien s'élèveraient les factures d'électricité si le prix de l'énergie nucléaire incluait le coût de la réparation des maladies professionnelles radio-induites qui échappent aujourd'hui à la reconnaissance ?
Mais
l'enjeu n'est pas seulement celui de la réparation des
atteintes radio-induites. Le choix de sous-traiter la
maintenance des installations nucléaires représente
aussi une menace pour la sûreté nucléaire elle-même.
La multiplication des interventions, faites de plus en plus souvent dans des conditions de travail dégradées et dans l'urgence, conduit les travailleurs concernés à gérer d'innombrables injonctions contradictoires, entre qualité du travail et respect des délais d'intervention, entre réalisation des objectifs et tentatives de limiter l'exposition radioactive.
Ces salariés se qualifient eux-mêmes de « liquidateurs » (du nom de ceux qui sont intervenus après les accidents nucléaires de Tchernobyl et Fukushima) ou de travailleurs « sacrifiés ». A l'heure où le gouvernement souhaite faciliter la construction de nouveaux EPR, les citoyens seront-ils informés du véritable coût humain et financier de l'énergie nucléaire ?
Marie
Ghis Malfilatre, sociologue
postdoctorante au laboratoire Pacte de l'université
de Grenoble-Alpes, spécialiste des conditions de
travail dans l'industrie nucléaire.
Annie Thébaud-Mony, sociologue et directrice de recherche honoraire à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
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pour aller plus loin:
. transports nucléaires, stockages, implantations, mines, décharges,... : https://mcca-ain.org/index.php/scenes-de-crimes
. les victimes parlent et témoignent : https://mcca-ain.org/index.php/cris-de-victimes
. L’impossible confinement du travail nucléaire, Expérience professionnelle et familiale de salariés sous-traitants exposés à la radioactivité (Marie Ghis Malfilatre): https://www.cairn.info/revue-travail-et-emploi-2016-3-page-101.htm
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