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Le nucléaire est dans l'impasse et sans voie d'issue

10 milliards de dettes cumulées  : le principal constructeur mondial de réacteurs atomiques l'américain « Westinghouse » (90 réacteurs implantés de force dans le monde) dont les réacteurs français sont sous sa licence états-unienne, jette l'éponge, rayé de la carte, plombé notamment par l'équivalent de l'EPR français (l'AP 1000). Et ce malgré son rachat en 2006 par le japonais Toshiba au prix fort, plus de 4 milliards de dollars (1) . Toshiba qui s'est trouvé englué dans une spirale de dérive des coûts et de calendrier (à l'identique de ses projets chinois) et qui finalement n'a pu trouver repreneur pour sa filiale nucléaire américaine. Toshiba qui, il y a peu, avait déjà du notifier une dépréciation de 712,5 milliards de yens (5,9 milliards d'euros). Le patron du groupe japonais en a démissionné et Toshiba s'est résolue à vendre un de ses joyaux: ses activités de semi-conducteurs. L'effet nocif des dominos nucléaires.

westinghouse.jpgUne situation financière catastrophique en grande partie liée à ses déboires dans la construction de quatre réacteurs aux Etats-Unis : pas rentable, trop complexe et techniquement pas maîtrisé l'ADN du business des réacteurs dit de « troisième génération » est dégénéré et mortel. A l'image d'Areva  « Westinghouse » sera dépecé. Dans les cinq ans, l'Etat français, qui a créé une structure de défaisance pour loger les actifs à risque d'Areva, ­connaîtra d'ailleurs la facture du contentieux croisé autour de l'EPR d'Olkiluoto de Finlande : potentiellement plusieurs milliards d'euros. Toshiba a décidé d'abandonner les grands projets à l’international. On le comprend.

"Cela pourrait être le coup de grâce" a indiqué Charles Fishman du cabinet d'analyse financière Morningstar tandis que l'Agence Standard and Pools dégradait la note du nucléariste de AAA à AA+

Toshiba va devoir inscrire d’importantes dépréciations d’actifs, qu’il chiffre aujourd’hui à 5,8 milliards d’euros en attendant l’audit final de ses commissaires aux comptes. D'autant que là aussi les ténèbres ont été de règle : de graves irrégularités dans l’acquisition par Westinghouse, fin 2015, du constructeur de réacteurs américain « CB & I Stone & Webster » ont été divulguées quelques mois après la mise à jour de falsifications comptables durant sept ans, au Japon même.

areva.gifComme pour Areva en Finlande ou le client de l'EPR engage des poursuites contre son fournisseur français, deux clients de Westinghouse (Géorgie et de Caroline du Sud) viennent de solliciter à leur tour leurs juristes. Ces deux projets états-uniens en cours ne sont achevés qu'à 40% (Vogtle) et 31% (Summer) et n'ont aucune chance d'être terminés comme prévu d'ici 2019/2020. Tout comme pour l'EPR tricolore de Flamanville dans la Manche (4) les délais se rallongent à 2025/2030 avec un coût annuel qui augmentent de 1,5 à 2 milliards de dollars. Pour Scana les surcoûts de construction dépassent à ce jour 5 milliards de dollars, tandis que pour Southern Co. ils sont de plus de 3 milliards de dollars au delà du budget.. Or il pourrait falloir dépenser 8, 5 milliards de dollars de plus pour achever les deux réacteurs. Selon la banque Morgan Stanley, ce seul risque représenterait plus d'un tiers des profits de Scana et 7% de ceux de Southern Co. La logique voudrait que ces projets qui dès le départ n'étaient pas viables soient abandonnés purement et simplement afin de ne pas creuser un peu plus le gouffre financier et les menaces sur la planète.

Et encore une mauvaise pioche des experts de la France nucléariste

EDF est directement impacté par la faillite de Westinghouse et à plusieurs titres. D'une part les réacteurs à eau pressurisée (REP) qui équipe la quasi-totalité du parc français  sont sous licence Westinghouse, d'autre part Westinghouse et Mitsubishi sont des fournisseurs de certains gros composants telles les chaudières des réacteurs nucléaires ou encore les générateurs de vapeur qui doivent être remplacés dans les réacteurs 1.300 MW. 12 sur  44 doivent être fournis par Westinghouse qui les fait fabriquer en Italie par sa filiale Mangiarotti  racheté en 2014. Et ce ne sont pas les productions de Areva-Creusot, objets de malversations et falsifications, qui seront de nature à s'y substituer.

2013-06-19_Stop-Tricastin_Areva_CAN84_SDN_Greenpeace_blocage_transport-nucleaire_05.JPGIdem pour les assemblages des produits de fission appelés faussement « combustibles »: si Areva est le fournisseur principal, Westinghouse en fournit 30 % à EDF qu'il fait fabriquer en Suède et en Grande-Bretagne.

Et cette filiale de Toshiba intervient aussi ponctuellement dans la maintenance des installations atomiquesd françaises. Ainsi c'est elle qui dans l'enceinte du réacteur de Paluel 2 (Seine-Maritime) a relevé avec le néerlandais Mammoet le générateur de vapeur qui s'était effondré. Idem pour son ingénierie qui est intervenue en 2016 à la centrale nucléaire de Gravelines après la détection d'un défaut en 2011 sur une tuyauterie en partie basse de la cuve du réacteur numéro 1 .

Idem pour les moteurs diesels d'ultime secours (DUS) dont EDF doit équiper toutes ces centrales depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima : une bonne part doit être fournit par … Westinghouse alliée à Fairbanks Morse Engine, un motoriste américain. Le reste étant dévolu à une filiale d'Eiffage (Clemency) associée au groupe belge ABC .

Plutôt mal-venue au moment ou EDF vient de lancer en urgence un appel de recapitalisation de 4 milliards d'euros (souscrit aux trois quarts par l'Etat c'est à dire les contribuables) pour renforcer ses fonds propres. Le nucléariste indique déjà par la voix de son Pdg Jean-Bernard Lévy que :  « Au-delà de 2020, nous finaliserons une nouvelle trajectoire financière, au vu des conditions du marché de l'énergie » (« Les Echos » du 8 mars). C'est un peu le casino et le pilotage à vue par temps de mer déchaînée. Mais ils s'obstinent. D'autant qu'il y a un petit hic : EDF va devoir négocier avec Bruxelles une modification de la régulation sur les investissements nucléaires (par exemple via des prix d'achat garantis), faute de quoi... il n'y aura pas de modèle économique.

De l'Est à l'Ouest beaucoup d'effets d'annonces mais une réalité : la débâcle

BLM US NUCLEARSi le nucléaire ne constitue que 9% de la production d'énergie aux Etats-Unis et 19% de celle d'électricité, loin derrière le gaz naturel (32%), le pétrole (28%) et le charbon (21%) c'est que l'accident nucléaire de Three Mile Island en Pennsylvanie en 1979 (un enchaînement d'incidents avait conduit à la fusion partiel du cœur du réacteur et libéré de la radioactivité dans l'environnement) a conduit à ce qu'aucune centrale atomique n'a été raccordée au réseau entre 1996 et 2016.

« General Electric », l'autre nucléariste américain issue de la fusion d'une partie de Thomson-Houston Electric Company et d'Edison General Electric Company (2), est en apnée et tente de survivre après avoir cédé cette année pour près de 198 milliards de dollars de ses actifs. En Amérique du nord l'atomiste HydroQuebec (canadien) a laissé tomber le développement nucléaire et mis en arrêt définitif sa centrale atomique de Gentilly tandis que "Ontario Power Generation" a déjà mis en arrêt définitif les tranches 2 et 3 de la centrale nucléaire de Pickering à Pickering en Ontario (3).

En Asie, hormis les chinois CNNC et CGN qui poursuivent dans le nucléaire mais aussi dans les énergies renouvelables et le coréen du sud « Korea Electric Power (Kepco) » qui s'accroche au vieux modèle après avoir remporté un contrat aux Emirats arabes unis en 2009 à la barbe d’une « équipe de France » menée par Areva, le nucléariste japonais Hitachi, est aussi en quasi mort cérébrale. D'autant que sa co-entreprise avec l’américain General Electric et Mitsubishi Heavy Industries et un partenariat  avec la filière nucléaire française moribonde pour développer un « petit » réacteur atomique (Atmea) entre en concurrence directe avec l’AP1000 de Toshiba-Westinghouse … dont toute la technologie à été tranférée à Pékin en 2006. Autre moribond : le consortium nippo-français NuGen créé par Toshiba (60 %) et Engie (40 %) qui devait installer trois réacteurs AP1000 et voit déjà le premier jeté l’éponge et le second s’apprêter à le faire. Pas rassurant ni gage d'avenir.

Soutenu puissamment par son gouvernement le russe Rosatom se trouve aussi confronté à une défiance généralisée malgré des effets d'annonces en Turquie, en Egypte, en Afrique du Sud et son propre « marché intérieur ». Fin 2016, elle avait tenté d’investir dans Areva. Mais le gouvernement français n’avait pas osé envisager cette option alors qu’il avait l’intention d'y laisser entrer la Chine. La domination de la France, avec ses fleurons EDF et Areva, et du duo américano-japonais s’est quant à elle effondrée.

edf-la-defense.jpgEn Europe, l'Allemand Siemens (partenaire et co-concepteur de l’impossible EPR) a déserté l'an dernier cette maudite filière nucléaire afin de sauver sa peau. Le suisso-suédois ABB a tiré un trait sur l'atome et réoriente ses activités. En France, sans le soutien financier des contribuables décidé par l'Etat (bonjour les 7 milliards d'endettement supplémentaires ) :

. Areva est en mort clinique et n'en finit pas de convulser, son cadavre est découpé en morceaux plus ou moins avariés, 

. Alstom est en fin de course tel un vieux canasson de réforme,

. EDF est sur-endetté et en quasi faillite et s'enferre dans des projets fous tel celui d'Hinkley-Point en Angleterre qui malgré l'apport financier chinois est loin d'être démarré et mis en service d'autant qu'une contre-partie pourrait faire partie du deal : la vente par la Chine à la France et l'Europe de leur réacteur Hualong à partir de 2020. Et à Hinkley-Point le Brexit risque aussi de renchérir le coût de construction dont le « premier béton » nucléaire doit être théoriquement coulé en 2019,

. DCNS (chantiers navals sous-marinier nucléaire) est en asphyxie chronique,

. le CEA englouti toujours plus de millions d'euros lui aussi dans des projets fous alors qu'il bénéficie déjà de l'emprunt « sarkozy » et que 60 ans de recherches n'ont conduit à présent qu'à imposer l'enfouissement sous terre de près de 2 millions de m3 de déchets radioactifs. Chapeau les artistes.

La France dernier des Mohicans : rendez-vous avec la mort

En résumé : les réacteurs nucléaires français reposent sur les brevets technologiques d'une entreprise en faillite (Westinghouse) où les pièces maîtresses et « combustibles » sont façonnés par une autre entreprise en faillite (Areva) pour le compte d'un exploitant nucléaire (EDF) en quasi faillite et n'ayant pas les ressources financières pour l'entretien du parc nucléaire, la conduite de projets EPR, le financement du démantèlement des centrales atomiques ni celui de leur enfouissement des déchets radioactifs.

2013-10-25_Tricastin_Reacteur_2_Scram_geyser-vapeur_01.jpgSeuls les fanatiques idéologiques de la secte nucléariste ont refusé systématiquement depuis des décennies de voir que le début de la fin du nucléaire avait sonné. Entêtés dans leur dogmatisme ils ont asservi a France et des pays entiers à leur entêtement et leur déni de la réalité. Ils ont contaminé la planète entière et assassiné des milliers d'innocents par leurs rejets radioactifs, essais atomiques et catastrophes nucléaires. Leur discours de modernité et d'adaptation indispensable à l'ordre économique dominant se voulait la contre-partie d'une marche radieuse vers le progrès et le bonheur au prix de quelques sacrifices toujours présentés au peuple.

La quadruple catastrophe nucléaire de Fukushima toujours en cours depuis le 11 mars 2011, celle de Tchernobyl qui a rayé définitivement de la carte des territoires entiers et engendrée morts et désolations, la concurrence d’autres sources de production d’électricité de plus en plus compétitives et bien moins nocives et mortelles (géothermie, hydraulien, hydraulique, solaire, gaz,  biomasse, éolien,…), le refus de plus en plus important et l'opposition de la population mondiale au nucléaire ont signé la mort d'une vision caduque du siècle passé.

La libération de l'ère monstrueuse atomique est peut-être en passe d'être à l'ordre du jour. Pour le moins : une nécessité.

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(1) Il y a dix ans, la plupart des analystes estimaient déjà que le groupe japonais avait surpayé l’acquisition.  Un peu comme Areva avec l'acquisition de Uramin, un soit-disant gisement fabuleux d'uranium qui fait l'objet d'une instruction judiciaire.

(2) EGEC deviendra par la suite en France Thomson-Brandt, puis Thomson. General Electric contrôle aussi depuis 1985 la chaîne de télévision NBC, regroupée avec Vivendi Universal Entertainment, pour former le groupe NBC Universal, détenu à 80% par GE et à 20% par Vivendi. En 2014, General Electric acquiert l'activité énergie d'Alstom et annonce en 2016 la suppression de 6 500 emplois en Europe dont 765 en France

(3) En moyenne au Canada, les plans de déclassement des centrales nucléaires s'échelonnent sur 50 ans. Un exploitant qui souhaite obtenir un permis d'exploitation de centrale nucléaire est tenu de présenter un plan de déclassement qui précise la façon dont il compte gérer le démantèlement de sa centrale. Ce qui n'est pas le cas en France où EDF ne s'est jamais préoccupé pendant des décennies de ce que deviendront ses installations périmées.

(4) Areva a passé 5,5 milliards d’euros de pertes sur le chantier de l’EPR en Finlande et accuse cinq années de retard… De son côté, l’EPR de Flamanville a coûté plus de 10 milliards d’euros à EDF contre 3,3 milliards prévus à l’origine.

Autres sources :
http://www.rtl.fr/actu/conso/la-filiere-nucleaire-en-crise-partout-dans-le-monde-7787877957
http://lemonde.fr/economie/article/2017/03/24/nucleaire-westinghouse-proche-de-la-faillite_5100068_3234.html?h=15