CANSE

__

Mardi 23 avril 2013 – 8h30 . Ce matin il ne faut pas perdre trop de temps en palabres au réveil. Chacun-e s’occupe à plier rapidement sa tente, prendre le petit-déjeuner, se laver. La route est longue de Roquemaure à Marcoule (plus de 17 kilomètres) où il est impératif de se trouver pour l’embauche de 13h. Il faudra passer par les villages de Saint-Genies-de-Comolas et de Codolet avant d’attaquer la montée vers le site nucléaire militaro-civil. 

Marcoule : le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique), le haut lieu de la bombe atomique avec, aujourd’hui des entreposages de fûts radioactifs qui ne cessent de fuir et d’irradier. Avant, les fanatiques de la destruction atomique les jetaient tout simplement dans la mer, dans la méditerranée, ni vu ni connu. Ils y diffusent depuis, sous l’effet de la corrosion et des radiations, leur mortelle radioactivité. Sur le site de Marcoule, Les casemates ne peuvent quasiment pas être approchées sans prendre une dose létale. Les syndicats s’opposent à la volonté de la Direction d’augmenter le rythme de travail pour que cela coûte moins cher et libère rapidement de la place. Marcoule : c’est aussi Areva et la fabrication du sordide combustible « Mox » - un mélange d’oxydes de plutonium et d’uranium - dont les nucléocrates tentent de gorger les réacteurs. L’un de ceux de Fukushima-Daïchi est était bourré. On voit le résultat !

Mais en France, ce n’est pas mieux, puisque certains réacteurs de 900Mwh en sont aussi gavés. Les fanatiques de la destruction atomique préfèrent progresser dans l’ignoble plutôt que de mettre les compétences des ingénieurs, techniciens, scientifiques, ouvriers au service de l’avenir et des énergies renouvelables et non-délocalisables.

10h00 – Le petit village de Saint-Genies-de-Comolas est traversé et quelques discussions se sont engagées sur la place et devant l’arrêt de bus. Pas grand monde. On reprend la route vers Codolet, la petite route est délaissée pour la grande départementale. Les camions frôlent à vive allure les marcheur-se-s. Danger. Quelques klaxons d’encouragement, des signes de la main pouce levé en signe de soutien. Une camionnette passe en sens inverse et dans un même mouvement les deux passagers et la conductrice lève le pouce et crient « bravo, vous avez raison »…

11h00- Arrivée sur la place centrale du village de Codolet non loin de la mairie. Le magistrat de la ville va-t-il osé se comporter en homme libre et d’ouverture ? Ces prédécesseurs n’ont pas pris cet immense risque d’ouvrir leurs bureaux à des citoyens en marche. Mais sait-on jamais… les marcheur-ses se dirigent vers le bâtiment. Là on ne se trouve plus face à une « maison du peuple » mais devant un sas à double entrée comme dans une banque. On filtre la populasse des fois que le manant soit récalcitrant et insoumis. A moins que la mairie de Codolet n'abrite un coffre-fort secret et copieusement rempli par la manne d’Areva et du CEA ? Sait-on jamais ? 

Après avoir tenté vainement de faire fonctionner le dispositif de filtrage, un marcheur parvient à pénétrer dans le hall de la mairie et demande à voir le maire. La réponse manque cruellement d’originalité : « il est en réunion extérieure ». Alors, encore une fois, les antinucléaire laissent à son intention le projet de vœux que le conseil municipal pourrait adopter et le plan de la zone d’expulsion des populations en cas d’accident nucléaire majeur. Codolet rayé de la carte comme tous les territoires dans un rayon minimum de 250 km ou plus.

Un peu de musique par le trio « Bure Haleurs ». Paroles fortes et rythme soul, ou paroles de dérision et de moqueries des nucléocrates sur des airs endiablés. Les marcheurs repartent et se dirige vers le deuxième site nucléaire relié par la marche de 12 jours.

On se dirige alors vers le peu glorieux dysneyland de l’atomisme, le « Visiatome », là où les enfants des écoles sont conduits à longueur d’année pour se voir bourrer le crâne du mysticisme de la destruction atomique. Il y a là des jeux, des expériences à réaliser, des questionnaires à remplir pour voir si les chères têtes blondes ont bien compris et assimilé que le nucléaire est le sauveur de l’humanité. La complicité des inspecteurs d’académies et des instances régionales, l’obligation faites aux enseignants de conditionner les enfants et élèves est digne d’une des pires dictatures au monde.

Dès son origine militaire le nucléaire n’a-t-il pas considéré les civils comme de la chair à expérience, comme des rats de laboratoires, comme devant s’effacer devant l’intérêt des armées et de la domination d’Etat. Il y a là du mépris pour l’humain.

Et le lobby nucléaire est aussi avide de sang frais. Alors plus jeune ces futurs esclaves auront intégré les codes du dominant plus ils seront à même de se soumettre et de glorifier le dieu de l’atome. Car il faut renouveler le bataillon de ceux qui interrompent leur emploi pour terminer dans les hôpitaux et les cimetières. L’emploi oui mais à quel prix ? N’est-il pas plus juste et harmonieux de gagner sa vie sans la détruire, sans porter atteinte à la santé des autres, sans menacer la planète entière de destruction ? Dans un projet d’avenir pour soi et les générations futures, sans leur balancer et leur léguer nos déchets mortels pour eux et à tous leurs descendants sur plusieurs milliers de générations ?

13h00 – Après une courte pause, les marcheur-ses pour l’arrêt immédiat et inconditionnel du nucléaire se rassemblent devant les grilles de Marcoule. D’autres citoyens les ont rejoints. Les banderoles se déplient, les drapeaux claquent au vent, les salariés ralentissent leurs véhicules. Les fenêtres s’ouvrent, les tracts passent de mains en mains, les discussions s’instaurent. La sirène hurle et lance dans le vent son cri de détresse. Les services de renseignements et de flicage militaires sont là et photographient systématiquement tous les citoyens qui brandissent un drapeau ou distribuent un tract. Un membre de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (ex- Renseignements Généraux) est aussi à l’œuvre autour des antinucléaires. La France, une démocratie ? C’est à voir…

15h00 – Au terme de deux heures de corps-à-corps : direction à présent la ville de Bagnols s/Cèze, là où le maire à signifié par courrier que, pour leur sécurité, il n’était pas souhaitable que les marcheur-se-s s’arrêtent dans le coin. Qu’à cela ne tienne, en fin de journée ils occuperont le domaine public dans un acte de réappropriation citoyenne identique à celui de la veille à Roquemaure.

Mais l’heure n’est pas encore venue du repos du soir. Pour le moment c’est cap vers le siège d’Areva NC, là où se sont décidés et peaufinés les dossiers du business du « Mox ». Là où en toute quiétude les nucléocrates ont décidé de mettre en œuvre leurs atteintes à la vie, ivres qu’ils étaient de gloire et de mégalomanie. Fukushima les montre du doigt, les désigne à l’ire des peuples du monde entier. Honte à eux, honte à ces « collabos » de la destruction.

Comment un être humain peut-il en toute lucidité prendre la décision de se mettre au service du crime. Quels abandons de dignité, quelle avidité, quel aveuglement, quel refus de voir le réel, quelles peurs, quelle inhumanité, quelles manipulations mentales peuvent les avoir envahis au point de les conduire à un tel choix, une telle attitude ? « Science sans conscience est la ruine de l’âme » : telle en la phrase placée en exergue du tract distribué aux salariés depuis le début de la marche. Puisse-t-elle éveiller quelques consciences.

Les marcheur-ses s’approchent peu à peu du siège social du géant au pied d’argile Areva. A portée d’atteinte, ils investissent rapidement les abords du bâtiment. L’effet de surprise fonctionne et très vite les bureaux se trouvent encerclés. La sécurité intérieure (pas celle des centrales ou des installations nucléaires) verrouille aussitôt les grilles pour empêcher les manifestants d’investir l’intérieur des bâtiments. L’immense banderole de 30 mètres « Arrêt immédiat du nucléaire » est accrochée aux grilles, « Fukushima » et « Tchernobyl » se placent devant les yeux de ceux qui, derrière leur vitre fumée, dans leur bureau, continue à plancher sur les lieux où pomper le sous-sol pour aspirer l'uranium et les pays ou refourguer leur sale came. Une voix dans le haut-parleur appelle les cadres et techniciens à ne plus collaborer au crime, à reconvertir leur savoir-faire dans les énergies d'avenir, à laisser tomber une entreprise qui, dans quelques temps, ne pourra même plus les payer au vu de la dégringolade du titre en bourse et des échecs salvateurs de vente de "Mox" à l'étranger...

16h30 – L’encerclement du siège d’Areva est levé et les antinucléaires se dirigent vers Bagnols s/Cèze à la rencontre des habitants. Nouveaux échanges, nouvelle lettre déposée en mairie, nouvelles compréhensions des méfaits de la radioactivité et du nucléaire. Les idées cheminent et bientôt deviendront des forces matérielles capables de faire plier le pouvoir militaro-politico-nucléaire.

18h00 – Il est près de 18h30 lorsqu’ils gagnent leur havre pour la soirée. Ce ne sera pas en bord de rivière comme prévu puisque le Maire l’interdit mais sur un terre-plein en entrée de ville. Un couple d’habitants propose aux marcheur-se-s de venir prendre une douche chez lui non-loin de là. Merci. Merci à ceux et celles qui par un simple geste démontrent, à la face de ceux qui s’accaparent le pouvoir par délégation, que la solidarité humaine et de combat existe malgré eux. Et porte le présent et le devenir de notre communauté humaine par l'arrêt sans condition de la destruction atomique.

photos : DR, Gilbert et Wolakota

La presse en parle

internet