Démantèlement dément d'Eurodif Tricastin : la presse régionale grande complice
Par Rédaction le dimanche 14 avril 2019, 12:51 - Tricastin - Lien permanent
Une Installation Nucléaire de Base,
telle celle de production d'uranium enrichi du Tricastin (Georges
Besse I) mise aujourd'hui à l'arrêt définitif est un peu comme un
navire fantôme. Les errements et la dangerosité s'y côtoient et le
commandant ne souhaite pas entendre poser des questions qui fâchent.
Surtout si des pages de pub ont été déversées sur la presse
institutionnelle. Mais ne parlez surtout pas de fake-news.
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L'usine EURODIF (Georges Besse I) de production et de transformation de substances radioactives par diffusion gazeuse - seule unité en France à enrichir l'uranium jusqu'à 5% en isotope 235 - a progressivement arrêté sa production jusqu’en juin 2012. Elle était en activité opérationnelle depuis 1979 et a été remplacée par un autre usine « Georges-Besse II » utilisant le principe de la centrifugation.
L'ensemble de ces installations, situé
au sud du site nucléaire Orano du Tricastin et est à l'ouest de la
centrale EDF, constitue l'Installation Nucléaire de Base n° 93.
Elle s'étale sur environ 280 ha située à l'intérieur d'une île
encerclée à l'ouest par le Rhône et à l'est par le canal de
Donzère à Mondragon, et empiète sur le territoire de trois
communes de Vaucluse (Bollène) et de Drôme (Pierrelatte et St
Paul-Trois-Châteaux).
Ne présentant plus aucun intérêt industriel ni financier pour le groupe, Areva a décidé de démanteler complètement Eurodif Production par étapes pour un coût prévisionnel annoncé de 725 millions d'euros (a). Les spécialistes en rigolent au vu de la totale nouveauté des opérations à mener. Il est vrai que précédemment les annonces publiques d'Areva prévoyaient une durée de 10 à 15 ans et un coût de 600 millions. Et quand on voit les prix qui ont flambé dans la construction de l'EPR de Flamanville toujours pas terminé et initialement piloté par Areva... On est bien loin du spécialiste mondial en démantèlement comme le présente et le chante la presse régionale.
Pourquoi démanteler ?
Alors démanteler, pourquoi pas, mais pas si simple que cela car les quatre bâtiments contiennent pas moins de 130000 tonnes d'acier et 30000 tonnes d'équipements divers. Et la cascade d'enrichissement contient à elle-seule 28 000 tonnes de barrières de diffusion. Et tout baigne dans une radioactivité mortelle.
Depuis juin 2013 et l’autorisation de l’ASN, Areva (devenu Orano suite à sa faillite et à la repise de sa dette par l'Etat) a lancé les premières opérations de rinçage intensif répété des barrières (1) avec un gaz extrêmement toxique, très oxydant et extrêmement réactif, corrosif et qui se condense en un liquide jaune verdâtre : le trifluorure de chlore (ClF3). Objectif : récupérer la quasi totalité de l’uranium résiduel déposé au fil du temps et encore présent dans les circuits et les diffuseurs après l'arrêt définitif. Et accessoirement faire baisser le niveau de radioactivité sous le seuil des 100 becquerels par gramme afin d'envoyer ensuite au casse-pipe des opérateurs intérimaires.
Un business en perspective : refourguer l'acier des installations nucléaires dans les matériaux de construction.
Areva espère récupérer de l'opération près de 300 tonnes de matières qu'elle voudrait bien refourguer après rebricolage dans les réacteurs ou dans d'autres produits de consommation courante tels les parpaings tandis que « l'acier pourrait être fondu et réutilisé en tant que matériaux de construction », pas moins ! (a) . Le rinçage des équipements de la cascade d’enrichissement (2) par diffusion gazeuse de l’usine Georges Besse I s’est terminé en fin d’année 2015, la mise à l’air a été enclanchée. Ce projet « PRISME » à déjà engloutis 60 millions d'€uros. C'est le printemps !
Depuis 2017, Areva qui a soumis à
l’ASN un dossier d’autorisation pour le passage des installations
à l'arrêt vers une phase de surveillance, mène des opérations de
préparation à la phase de démantèlement (3). Cette période doit
durer jusqu’en 2028, date du lancement des opérations de
démantèlement proprement dit. Mais tout cela c'est du prévisionnel
bien entendu.
L’ASN a demandé un inventaire précis des potentiels de risques représentés notamment par les déchets à évacuer. C'est la moindre des choses alors qu'Areva-Orano doit poursuivre leur évacuation (vers où? Et par quels modes de transports ?) et le traitement des pollutions restantes sur place.
Or, à la suite d’une inspection inopinée, un exercice incendie a mis Areva-Eurodif en difficulté : son équipe d’intervention prévue en cas d’incendie dans ses installations était loin d'être en capacité de faire face. Pas assez de personnel. On y va à l'économie. Ce constat alarmant fait suite à d'autres « insuffisances » déjà relevées en 2016 par l'ASN dans la gestion des déchets, la radioprotection et la protection de l’environnement. Et depuis des années Areva-Tricastin s'est spécialisée dans les incidents nucléaires à tout va ( https://www.asn.fr/L-ASN/L-ASN-en-region/Auvergne-Rhone-Alpes/Installations-nucleaires/Usine-Georges-Besse-de-separation-des-isotopes-de-l-uranium-par-diffusion-gazeuse/Avis-d-incidents )
De quelques « incertitudes »
Pourtant les enjeux du démantèlement concernent tant le volume de déchets produits (dont 160 000 t de déchets métalliques) que les risques radioactifs et, pour Areva et ses finances, la durée du démantèlement que l'exploitant veux aussi réduite que possible (estimée à 30 ans à présent). Pourquoi une telle précipitation alors que nul ne sait où entreposer et stocker ces déchets dont un paquet de tonnes radioactives ?
Il est vrai que, comme le disait déjà
en 2011, le quotidien économique « les Echos » :
« quelques incertitudes demeurent encore concernant notamment
la réutilisation (ou pas) de plusieurs dizaines de milliers de
tonnes de ferrailles ». A l'époque le directeur du site
d'Areva Tricastin , Frédéric De Agostini ( celui qui avait exigé
de ses équipes de voir les militants antinucléaires jetés à terre
avec des chien-loup au dessus d'eux) fanfaronnait : "Nous
allons mettre en œuvre les savoir-faire que nous avons développés
entre 1998 et 2010 pour démanteler les usines utilisées naguère
par le CEA pour enrichir l'uranium à des fins militaires. » .
On connait la réalité : le réacteur de démonstration à
neutrons rapides refroidi au sodium « Phénix » a cumulé
les incidents et les réacteurs atomiques militaires « Célestin » de Marcoule
sont toujours en démantèlement chaotique tant les installations et
stockages sont pourris et irradient à tout va (4). Et du côté
de Cadarache ça ne va pas mieux, ni même encore au Tricastin avec le
démantèlement de la Comurhex-Areva (5). On n'ose évoquer la butte de déchets radioactifs militaires du CEA à deux pas de là qui a été reverdit par des travailleurs importés d'autres pays et travaillant simplement en tee-shirt sur les gravats radioactifs.
Une gestion irréaliste des déchets selon l'Autorité Environnementale
Dès 2016, l'Autorité environnementale a jugé irréaliste la gestion des déchets de très faible activité issus du démantèlement d'Eurodif. Elle recommande à Eurodif, filiale d'Areva, "de procéder à une actualisation de l'étude d'impact et à une nouvelle enquête publique préalablement à chacune des décisions qui seront prises en matière de traitement des déchets métalliques, de déconstruction des bâtiments et de dépollution des sols contaminés". C'est clair et net. Areva devra probablement les stocker au Tricastin ou les recycler, ce qui impose une nouvelle enquête publique.
Aussi, pour contourner toute les instances, procédant par ajustements et modifications au coup par coup, Areva-Orano, a enclanché une demande de modification du décret d’autorisation pour ce démantèlement. Soumis théoriquement de par la Loi à une enquête publique début 2017 : nul habitant ou si peu n'en a été informé ni en mesure d'y participer. L'opacité et la fébrilité des délais font l'affaire des nucléocrates et roule tout le monde dans la farine. Au premier chef l'ASN et gouvernement si bien disposés envers la nucléocratie. Le premier ministre actuel, Edouard Philippe, n'est-il pas un ancien de la maison, Directeur salarié pendant des années chez … Areva. Et la ministre de la santé, Agnès Buzin, n'était-elle pas aussi du sérail en tant que Présidente de l'IRSN ?
Une question qui taraude les esprits
libres et humanistes
Mais une série de questions taraude les esprits libres et indépendants, les personnes qui réfléchissent sans aucun lien d'intérêt avec le nucléaire, celles qui ont le souci de la planète et de la santé publique : faut-il démanteler les installations nucléaires ? La question mérite d'être posée. Immédiatement après leur mise à l'arrêt ou bien plus tard, lorsque la radioactivité aura suffisemment baissée pour ne pas exposer les salariés devant y intervenir au risque mortel radioactif ? Et puis, accessoirement : faut-il faire traverser à ces déchets radioactifs toute la France par rail et par routes, jour et nuit, pendant des dizaines d'années, et exposer ainsi les automobilites et riverains au risque de contamination ? Et aussi : vers où les entreposer et comment ? En les enfouissant sous terre comme l'exige les exploitants atomistes et l'Andra ? A Bure avec le projet démoniaque « Cigéo » ou bien sur chaque site en démantèlement ? Ou bien alors dans le jardin et sur le balcon des usagers de l'électricité nucléaire ?
Autant de questions incontournables que
la presse institutionnelle a bêtement omis de se poser et de livrer
à ses lecteurs, préférant comme « La Provence »
(Edition du 12 avril 2019) publier en « une » et sur deux
pleines pages intérieures, un publi-rédactionnel qui ne dit pas son
nom et qui tresse des louanges sans fin à ce chantier
« Titanesque ». Il est vrai que la mane financière des
pages de pub déversées sur ces journaux à longueur d'année par
Areva, EDF et le CEA doit bien servir à quelque chose.
En attendant ce sont et les habitants et la planète qui morflent. Finalement le plus sage ne serait-il pas d'arrêter dès à présent de produire des déchets radioactifs en fermant immédiatement toutes les installations nucléaires et en les sanctuarisant pour des centaines d'années ? La pourriture étant dans le fruit, faut-il continuer à la cultiver ?
J.P.S
appendice : rappel des Principales étapes réglementaires : Décret d'autorisation (DAC) de création (décret du 8 septembre 1977, modifié par décret n° 2013-424 du 24 mai 2013 (I), Autorisation de mise en service définitif (lettre SIN 4401/83 du 25 août 1983), Rapport de sûreté (RS) préliminaire de sûreté (2011), Règles générales d'Exploitation (RGE de décembre 2013), Arrêté de rejet des effluents liquides et gazeux et de prélèvement d'eau (Décision n° 2013-DC-0356 du 16 juillet 2013 et Décision n° 2013-DC-0357 du 16 juillet 2013, homologuée par l’arrêté du 20 août 2013), Plan d'Urgence interne (PUI de 2013), Etude déchets (ED révisée en 2013)
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(a) https://www.usinenouvelle.com/article/725-millions-d-euros-pour-demanteler-eurodif.N159197
1- Barrières : dans un réacteur nucléaire, différents dispositifs étanches visent à isoler les sources de rayonnement radioactif (produits de fission présents dans le réacteur) de l'extérieur. Dans un réacteur à eau sous pression, ce qui est nommé première barrière est en fait simplement la gaine métallique en zircaloy qui contient les produits de fission artificiels. La cuve en acier abritant le coeur du réacteur et le circuit de refroidissement (nommé circuit primaire) constitue la deuxième barrière. Le bâtiment en béton armé théoriquement et impérativement étanche (nommé enceinte de confinement) à l’intérieur duquel se trouvent la cuve, le cœur du réacteur, les générateurs de vapeur et le pressuriseur contitue la troisième barrière. En cas d’accident, telle une rupture du circuit primaire, elle doit retenir les produits radioactifs pour qu'ils ne se disperses pas dans l'environnement. On sait ce qu'il en est depuis les catastrophes nucléaires de Tcehrnobyl et Fukushima.
2 – Enrichisement : un procédé industriel qui vise à augmenter la teneur en isotopes fissiles d'un élément et conduit à la séparation du produit en deux parties, l'une dite « enrichie » et l'autre « appauvrie » de l'isotope recherché. L'enrichissement de l'uranium en isotope 235 (235U) vise à son utilisation dans les réacteurs centrales nucléaires. Indispensable car à l'état naturel l'uranium extrait des mines est constitué de 99,3% d'uranium 238 (238U non fissile) et de seulement 0,7% d'uranium 235 (le 235U est fissile). L'enrichissement augmente la proportion en uranium 235 de 3 à 4%.
(3) - Démantèlement : terme générique qui couvre un ensemble d'opérations techniques et administratives d'une installation nucléaire après son arrêt définitif (démontage d’équipements, assainissement des locaux et des sols, destruction de structures de génie civil, de traitement, de conditionnement, d’évacuation et d’élimination de déchets, radioactifs ou non). Ces opérations conduise au déclassement de l'INB (Installation Nucléaire de Base) où la totalité des substances dangereuses et radioactives doit être évacuée de l’installation. La finalité de ce déclassement n'est pas systématique et est choisi par l'exploitant atomiste en fonction de paramètres de coût, de durée, de possibilités de faisabilité, de responsabilité sur le devenir ultérieur du lieu. Au cours du démantèlement la nature des risques évolue, parfois rapidement.
(4) https://www.asn.fr/L-ASN/L-ASN-en-region/Occitanie/Installations-nucleaires/Centrale-Phenix
(I) signé par le premier ministre socialiste Jean-Marc Ayrault et la ministre socialiste de l'environnement Delphine Batho ( https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027447728&dateTexte=&categorieLien=id )
Commentaires
Intéressant tout ça, même si au début je m'attendais à un article sur le démantèlement annoncé d'EDF ! Mais ça va de pair, et c'est l'oeuvre des mêmes ploutocrates